Entre ville (capture d’écran #1)
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Entre ville

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J. R. Carpenter
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15 avril 2009
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Benoit Bordeleau

Entre ville a été commandée en 2006 par Oboro, centre de production et de diffusion des arts médiatiques basé à Montréal. L'œuvre a été lancée au Musée des beaux-arts le 27 avril 2006, soulignant avec brio le 50e anniversaire du Conseil des arts de Montréal. Entre ville plonge l’internaute dans le Montréal intérieur, pour ne pas dire intime, de J. R. Carpenter, qui va flânant le long de sa ruelle du Mile End, accompagnée de son chien. Forte des influences de Leonard Cohen, Michel Tremblay et Mordecai Richler, pour ne nommer qu’eux, l'artiste convie l'internaute à une déclinaison poétique du Mile End, l'invitant, pour reprendre les mots de Jean-Noël Blanc, à «croiser les pas et les pages [1]», au même titre que le flâneur lors de ses déambulations.

Dès son entrée dans l’œuvre, l’internaute est posé devant divers éléments familiers du paysage montréalais: entre autres, des numéros de portes souvent rouillés, une affiche malmenée interdisant l’accès aux chiens, un tag (graffiti), un poteau sur lequel on remarque une poulie destinée à une corde à linge. Dans le coin inférieur gauche de la fenêtre, il y a une image du compagnon de marche de l’auteure: son chien. On remarque, au centre de l’écran, l’image numérisée d’un calepin à spirale. Sur la page de gauche, on peut lire le poème «Saint Urbain Street Heat» en faisant défiler le texte grâce aux deux flèches de navigation. Ce texte, s’attardant à une foule de détails de la vie quotidienne, parvient à transmettre les couleurs d’une journée de canicule sur la rue Saint-Urbain, avec ses balcons et ses galeries, ses corps trempés de sueur, les cris de la dame grecque d’en-dessous, le dense réseau des cordes à linge de la ruelle. Un autre poème, intitulé «Sniffing for Stories», est affiché lorsque l’on clique sur le chien. Ce dernier est exposé comme un prétexte – littéralement pré-texte – à la déambulation. On trouvera une certaine similarité de la démarche dans des œuvres comme Laisse, de Jean-François Chassay [2], ainsi que dans Le Promeneur, d’Adriaan Van Dis [3].

À noter que le calepin est le principal objet permettant la navigation au sein de l’œuvre. Sur la page, autour des poèmes susmentionnés, sont disposés des dessins représentant la configuration typique des appartements montréalais (étroits, mais longs). Lorsque l’internaute glisse le curseur de la souris sur les portes et fenêtres, il verra apparaître des plages de couleur ou encore des photographies cliquables. Un court film est de même activé par la plupart des liens contenus dans l'œuvre, révélant à chaque fois une facette du Mile End à travers le regard de l’auteure – ou est-ce celui de son chien, tel que le suggère la mention «try to see things from the dog’s eye view»?

Car il ne s’agit pas, dans cette démarche, de fractionner le Mile End et d’en rendre une vision documentaire. Une subjectivité – assumée – est mise au premier plan, tentant, de façon nécessairement fragmentaire, de restituer par le biais d’anecdotes et d’objets banals l’atmosphère d’une ruelle, d’un quartier. Cette manière de s’accrocher au regard d’un chien est un moyen original de saisir autrement les lieux familiers. Peut-être faut-il, pour le flâneur, faire abstraction – en partie du moins – de la notion de propriété privée («dogs know nothing of private property») afin de creuser la terre du quartier et d'y découvrir les histoires enfouies.

Le point fort de l’œuvre réside donc dans la capacité de Carpenter à composer (avec) l’hétérogénéité du lieu qui est donné à voir. Car les villes et les quartiers, rappelons-le, restent vivants, au sens fort du terme, grâce à leurs jeux d’oppositions. Ainsi, les intrusions du grec et du français, bien que l’anglais soit prédominant dans les textes, enrichit l’œuvre par le mélange des langues. Celui-ci se manifeste à travers une page tirée d’un dictionnaire grec-français ou encore par les voix et les accents qu’on peut entendre dans quelques-uns des dix-sept courts films de l’œuvre. Carpenter écrit d’ailleurs qu’à son arrivée dans le Mile End, en 1992, elle s’est mise à apprendre la langue du quartier:

I spent […] fifteen years learning the vocabulary of the neighbourhood. I don't mean French, English, Italian, Greek, Portuguese, Yiddish or any of the other languages spoken in the Mile End. I refer rather to the cumulative vocabulary of neighbourhood: the aural, audio, visual, spatial, tactile, aromatic and climatic vocabulary of community.

La collusion de ces éléments, vécue au quotidien dans le Mile End, est rendue de manière crédible dans  l'œuvre grâce au recours à différents médias.

 

[1] Jean-Noël Blanc (2003) Besoin de ville. Paris: Éditions du Seuil, p. 232.

[2] Jean-François Chassay (2007) Laisse. Une fantaisie pleine de chiens, de bruits et de fureurs. Montréal: Boréal, 187 p.

[3] Adriaan Van Dis (2008) Le promeneur. Paris: Gallimard, 264 p.

Informations

Coordonnées de l'artiste:

carpenter@luckysoap.com


Taxonomies

Nature
Oeuvre
Interactivité
Activation, Affichage aléatoire, Capteur de position, Échange de courriel, Navigation à choix multiples
Format
Image, Son/ambiance sonore, Texte, Vidéo/film/court-métrage
Thèmes
Flânerie, Mile End, Montréal, Quotidien, Urbanité, Ville
Média
Internet
Année
2006
Langue(s) de l'oeuvre:
Anglais, Français
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