Décentraliser le social, ou comment prendre le contrôle de ses données personnelles

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Il y a maintenant cinq ans que le réseau Facebook est devenu accessible au grand public en changeant grandement l'univers social du Web. Le site a créé de nouveaux standards de communication entre individus et a entrainé de nouveaux modèles de réseau social (Google+ reprend une grande partie de l'interface de Facebook, par exemple). Facebook continue de fasciner avec ses 800 millions d'utilisateurs[1], communauté d'ailleurs sans cesse grandissante.

Cependant, il s'agit d'une des compagnies la plus critiquée en ce qui a trait aux données personnelles des usagers et à leur aspect privé. Étant avant tout un site contenant des pages personnelles, Facebook n'a pas à effacer les données de ses utilisateurs tous les six mois comme doivent le faire Google ou Microsoft. Au contraire, ces données sont gardées de manière permanente sur ses serveurs. D'ailleurs, une loi européenne[2] a fait la manchette récemment, après être apparue sur reddit, contraignant Facebook à envoyer toutes les données personnelles d'un usager dès que ce dernier en fait la demande. Un de ceux-ci, après en avoir fait la demande, les a reçues sur support CD: l'ensemble représentait plus de 800 pages de documents écrits[3]! Et encore là, Facebook n'envoie pas toute l'information disponible, évoquant la propriété intellectuelle des méthodes que le site utilise pour acquérir de l'information. Les données personnelles des utilisateurs tombent-elles donc sous la juridiction du secret d'entreprise? Cela est sans compter les «shadow profiles», soit des informations que Facebook possède sur les non-membres, ou encore le cookie installé sur l'ordinateur qui suit la navigation Web même lorsque l'internaute n'est pas connecté sur le site[4].

Toutes ces pratiques mènent à s'interroger sur la centralisation des services sur le Web. Car il faut admettre que nous y utilisons de plus en plus des services offerts par des compagnies privées, particulièrement à l'aube du cloud computing, soit la possibilité de pouvoir stocker des documents et utiliser des applications situées sur un serveur distant et non sur son ordinateur personnel. Pourquoi nous tournons-nous seulement vers quelques acteurs corporatifs, malgré toutes les controverses qu'ils suscitent?        

Heureusement, il y a encore des internautes avec une vision démocratique du Web qui proposent différents programmes et services alternatifs à ceux des grandes corporations via l'utilisation du code libre. L'un des projets les plus ambitieux en ce sens est sans doute Diaspora*, un réseau social libre en construction depuis plus d'un an. Le projet, mené par quatre étudiants de l'institut des sciences mathématiques de l'université de New York, a même reçu une donation de 100 000 $ de la part de Mark Zuckerberg pour souligner leur volonté à «changer le monde»[5].

Se voulant une alternative à Facebook, Diaspora* a pour but de donner plus de liberté quant à la diffusion des informations et des données personnelles, mais également d'offrir un meilleur contrôle de ces données. Déjà, le réseau ne les garde pas sur un serveur central comme le fait Facebook, mais bien sur plusieurs, nommés pods, qui sont interreliés les uns aux autres. Il est même possible d'héberger son propre pod si on s'y connait en programmation. Les profils (appelés seed) et leur contenu appartiennent entièrement à l'utilisateur: il peut effacer des données ou des photos (ce qui n'est pas le cas avec Facebook, qui ne fait que les masquer du profil), et il peut même les transférer sur un autre pod s'il le désire. Il s'agit bel et bien d'un réseau social démocratique, créé et géré par ses utilisateurs pour ses utilisateurs.

Bien qu'encore en phase alpha, le réseau attire les feux des projecteurs par son architecture ambitieuse et libre, et par la possibilité qu'il a de devenir un concurrent sérieux à Facebook. De plus, comme il s'agit d'un logiciel libre, il est possible de participer au projet en aidant à la programmation, en hébergeant des pods ou encore en contribuant financièrement.

Le Web tend à être de plus en plus utilisé pour ses applications nuages centralisées, plutôt que pour son arborescence réseautique, ce qui limite la liberté qui a d'abord fondé Facebook. Le modèle de Diaspora* a créé un précédent démocratique dans l'élaboration de réseaux qui joueront sûrement un rôle très important dans l'avenir.

 


[1] Adam Ostrow (Septembre 2011), «Facebook now has 800 millions users», Mashable. En ligne, [http://mashable.com/2011/09/22/facebook-800-million-users/], (page consultée le 10 novembre 2011).

[2] Il est à noter que cette loi n'existe pas au Canada et aux États-Unis, seulement les citoyens européens y ont droit.

[3] Matthew Humphries (septembre 2011), «Facebook stores up to 800 pages of personal data per user account», geek.com. En ligne, [http://www.geek.com/articles/geek-pick/facebook-stores-up-to-800-pages-of-personal-data-per-user-account-20110928/] (page consultée le 10 novembre 2011).

Le document tel quel est disponible ici.

[4] Le site Web Europe VS Facebook, relate toutes les interrogations sur les pratiques de Facebook.

[5] Ryan Sigel (mai 2010), «Mark Zuckerberg: I Donated to Open Source, Facebook Competitor, Wired. En ligne, [http://www.wired.com/epicenter/2010/05/zuckerberg-interview/all/1] (page consultée le 10 novembre 2011).