Treaty Card
L’œuvre Treaty Card de l’artiste Métis Cheryl L’Hirondelle-Waynohtew offre aux internautes la possibilité de se créer une carte de «statut d’indien» (pour emprunter la terminologie canadienne). Très simplement et après avoir cliqué sur une médaille de l’un des 56 traités autochtones signés entre 1760 et 1923, l’internaute accède à un formulaire d’identification qu’il est invité à remplir. Les champs habituels y figurent – «first name», «surname» ou «date of birth» – mais l’artiste ajoute des spécifications propres à l’expérience identitaire des autochtones telles que «surname/colonized name» ou «alias/original/chosen name». En traduisant ces catégories, elle accentue l’histoire coloniale qui les sous-tend et les efforts qui ont été déployés pour assimiler les populations natives. Sous «Help», elle fournit un texte explicatif pour la terminologie du formulaire. Elle y explique par exemple que:
«surname/colonized name: replaces previous governement card information of *Family name* simply type in your last name. for some, your last name may have been established because one of your ancestors’ names and changed from its original langugage into english or french (ei – Littlechief=Okimasis / Apisis=Petite etc.) or you may have been given the last name of the priest or the indian agent – hence your name is "colonised" [sic].»
Les catégories officielles, qui se présentent sous un air d'objectivité, apparaissent dès lors réductrices et dépréciatives. Elles officialisent le nom colonisé des personnes autochtones et relèguent au rang d'alias leurs noms d'usage qui les rallient pourtant à leur communauté, à leur histoire et à leur cosmologie. La carte, une fois créée, apparaît dans une liste de tous les autres membres qui ont rempli leur carte de «statut d’indien» en ligne. L’artiste vous offre de l’imprimer et, si vous en avez les moyens, de la laminer pour en faire usage.
L’œuvre s’adresse néanmoins à tous les internautes, ceux d’origine autochtone et les autres. C’est précisément sur ce brouillage et ce piratage du processus d’authentification strict qu’a mis sur pied le gouvernement canadien que réside le potentiel subversif de l’œuvre. En effet, les cartes de «statut d’indien» qui proviennent de Treaty Card interrogent la validité des cartes officiellement prodiguées et par le fait même, la notion d’authenticité sur laquelle s’appuie le système d’identification. Pour s’inscrire à travers le réseau fédéral, la personne d’origine autochtone doit être «incontestablement» autochtone. Cette preuve d’appartenance est fournit moyennant des documents légaux et doit souscrire à certaines conditions énoncées dans la Loi sur les Indiens. La Loi discrimine pourtant entre les Indiens recensés et les Métis et les Indiens non inscrits. Jusqu’à tout récemment (2010-2011)1La Loi sur l'équité entre les sexes relativement à l'inscription au registre des Indiens, la Loi était également profondément sexiste: une femme blanche qui mariait un homme autochtone obtenait d’emblée un «statut d’indien» tandis qu’une femme autochtone se mariant à un homme blanc perdait automatiquement son statut et celui de ses enfants. La carte de «statut d’indien» était donc – et l'est encore – refusée à plusieurs autochtones sur la base de critères imposés de l'extérieur par le gouvernement.
L’œuvre de L’Hirondelle-Waynohtew s’entretient, par l’entremise d’une œuvre hypermédiatique épurée, de la capacité des peuples et des sujets à s’autodéterminer. Treaty Card a une portée politique tangible pour l’internaute d’origine autochtone qui désire contourner les systèmes en place et faire valoir une appartenance qui lui est niée par les processus d’authentification institutionnels et gouvernementaux. Le dispositif hypermédia – parce qu’il se base sur des modalités interactives – soutient également admirablement l’œuvre en posant l’internaute comme agent d’un détournement artistique et plus généralement, de son processus d’identification2Plusieurs liens du menu secondaire sont aujourd'hui (Juillet 2016) désactivés.