La Linea interactive
La linea interactive, de l'artiste montréalais Patrick Boivin, est une reprise de l’oeuvre La linea d'Osvaldo Cavandoli. Diffusés initialement en Italie, les premiers épisodes de La linea de Cavandoli étaient des publicités pour la compagnie Lagostina. Par la suite, le concept a toutefois été repris pour une diffusion à titre non publicitaire et exporté un peu partout dans le monde (France, Canada, etc.).
L’oeuvre de Boivin s’ouvre, à la manière de l’originale, sur les crédits: «La linea interactive / Created by Patrick Boivin / Based on the work of Osvaldo Cavandoli / With the music of Tom Waits». Il faut noter la différence de musique entre la musique jazz originale et la musique de Waits qui rappelle le cirque ou l’ambiance gitane de par ses sonorités rondes mais éraillées. La linea met en scène un personnage dessiné à l’aide d’une seule ligne qui subit les caprices du crayon qui le dessine, ainsi que les éléments de décor. Les interactions du personnage avec ces éléments se terminent souvent de façon pour le moins expéditive: un parcours se termine sur l’ingestion du personnage par une baleine, tandis qu’un autre se clôt alors qu’il se fait aspirer par un éléphant.
La remédiatisation vers la plateforme de diffusion YouTube que fait Boivin de l'oeuvre de Cavandoli lui offre de nouvelles possibilités. Il y insère entre autres de nouveaux mécanismes d'interactivité. Ces derniers consistent en une navigation à choix multiples, incarnée par des carrés oranges affichant des indications quant aux possibles ajouts du crayon: c'est à l'internaute de faire un choix. Par contre, si le choix tarde à se faire, le personnage commence à s’impatienter et à hurler contre le crayon pour qu’il s’active, pour qu’il se dépêche à faire progresser l’histoire (il faut d’ailleurs comprendre que les actions du crayon dépendent directement des choix de l’internaute; c’est donc à ce dernier que le personnage grognon s’adresse dans son impatience).
Le scénario de l'oeuvre se base d’ailleurs davantage sur la dynamique des images que sur les dialogues: le personnage ne s’exprimant qu’en une langue incompréhensible, ce sont ses gestes et ses mimiques ainsi que ses réactions aux divers événements qui rendent l’oeuvre intelligible. Musique et images une fois réunies finissent de donner le ton comique de l’oeuvre: ainsi, plutôt que d’être surpris et attristé par la mort inévitable du personnage, l’internaute considère sa fin comme l’aboutissement d’une facétie burlesque, d’une histoire drôle. Pour bien marquer la fin de l’histoire, le crayon trace un «La Fin» quelque peu sarcastique devant la mort malheureuse du personnage.
L’interactivité spécifique à l’oeuvre lui apporte une dimension avantageuse pour sa diffusion: il faut reporter à l’attention que l’oeuvre est diffusée sur YouTube, une plateforme de diffusion de vidéos doublée d’un moteur de recherche. Dans cette surextensivité culturelle du Web, multiplier les vidéos d’une seule oeuvre, c’est lui offrir plus de visibilité et multiplier les chances qu’un internaute voguant sur Internet sans but précis s’y retrouve confronté. Cela dit, nous pouvons remarquer un problème causé par cette exposition des «entrailles», des parcours de l’oeuvre: une oeuvre qui n’est pas conçue sur ce support peut se penser à l’abri d’une dissection de ses surprises. Pensons par exemple à la remédiatisation d'Un conte à votre façon de Queneau faite par Gérard Dalmon, où les résultats ne sont pas accessibles d’avance, et où le plus court chemin de lecture n’est pas dévoilé par des suggestions vidéo. Dans La linea interactive, toutes les possibilités, tous les choix probables sont exposés au regard dans les suggestions qu’offre YouTube sur le panneau de droite: on peut y voir les titres des vidéos qui correspondent, selon les lettres, aux choix possibles du spectateurs. «A», «B-A», «B-A-B» se succèdent, offrant au regard une image de chaque vidéo. Chaque choix correspond donc à une nouvelle vidéo: cliquer sur un carré orange amène l’internaute sur une nouvelle page YouTube qui charge la suite des aventures du personnage, car le diffuseur ne permet pas d’incorporer d’autres vidéos dans une vidéo. Ainsi, cette exposition des mécanismes de l’oeuvre est quelque peu dommage dans la mesure où elle peut influencer les choix de l’internaute vers une lecture plus longue (ou plus courte?) plutôt qu’absolument arbitraire.
Mentionnons que sur YouTube, il n’est pas possible de laisser indéfiniment le programme en attente du choix du spectateur: en effet, les vidéos ont une certaine durée et ne peuvent pas être programmées de manière à jouer en boucle. Ainsi, le fait que la vidéo puisse s’arrêter si l’internaute est déconcentré ou indécis, et du même fait, terminer l’oeuvre, semble faire paniquer le personnage qui, vraisemblablement, n’a pas envie que ses aventures prennent fin (quelle ironie…).
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