The Hidden Life of an Amazon User
The Hidden Life of an Amazon User de Joana Moll présente un dévoilement du côté généralement inaperçu d’une transaction en ligne. Le travail de Moll tourne souvent autour d’une sensibilisation quant aux réels effets de nos vies numériques; c’est dans cet esprit que Moll a créé The Hidden Life of an Amazon User.
L’œuvre consiste en la documentation d’une transaction faite sur Amazon.com. Dans un texte sur la page d'accueil de l’œuvre, l’artiste explique qu’elle a effectué l’achat d’un livre de Jeff Bezos: The Life, Lessons & Rules for Success: The Journey, The Teachable Moments & 10 Rules for Success Cultivated from the Life & Wisdom of Jeff Bezos. Elle réalise qu'au cours d'une telle transaction, l’internaute est obligé.e de passer par un minimum de douze interfaces. Moll a enregistré non pas seulement des captures d’écran de ces interfaces – de la page d’accueil, jusqu’à la page de confirmation de commande en ligne – mais aussi le code pour chacune de ces interfaces. Elle estime que le texte du code compose 8 724 feuilles de papier A4.
L’immensité de ces données se fait sentir au sein de la monstration de l’œuvre, qui demande l’observation et le défilement de l’écran pour la réalisation de son expérience. Chaque interface est présentée en capture d’écran, suivie directement par tout le code de la page concernée. Alors que 8 724 feuilles semblent représenter une quantité immense de code, il n’est pas anormal d’en avoir autant pour un site aussi volumineux qu’Amazon. L’objet de l’œuvre est plus nuancé; il ne s’agit pas du simple signalement d’un abus de code ou du tracking, mais de mettre en avant ce qui a lieu de manière constante et omniprésente sur les sites Web, surtout ceux de commerce.
Le désir de faire défiler plus rapidement l'oeuvre survient très vite; aspect démontré aisément par la suite de code qui charge à temps perdu. L'internaute met un minimum d’un quart d’heure pour achever l’expérience complète de l’œuvre, une contrainte de temps mise en place par la plateforme numérique et Web. C’est dans ce temps de chargement et de défilement que se trouve le poids, voire la lourdeur des données, plutôt que dans leur présence textuelle.
L’acte de faire défiler l’écran devient fatigant, mais encore plus éreintant est la permanence d’un affichage au milieu de l’écran: en grosses lettres rouges est affichée la quantité de mégaoctets (Mb) de données, les kilowattheures d’énergie dépensée au moment actuel de l’expérience de l’œuvre et les kilocalories dépensées par l’internaute pendant qu’iel fait défiler le texte. Les mégaoctets de données augmentent alors que l’internaute défile vers le bas, et baissent alors qu'iel défile vers le haut. Par contre, les deux autres chiffres ne baissent jamais; les kilowattheures seront dépensées peu importe l’action de l’internaute, puisque cela indique le coût réel lié à l’hébergement d’un site Web sur un serveur; de la même façon, l’internaute ne récupérera pas son énergie dépensée.
C’est ainsi que Moll réalise sa critique: le défilement de l’écran ne sert pas en tant que poste d’observation pour l’internaute, mais bien en une forme d’interpellation. L’internaute, grâce à l’énergie dépensée par son propre corps en interaction avec la souris, est impliqué.e dans la critique, et par extension, l’artiste aussi, cette dernière n’ayant pu créer l’œuvre sans effectuer l’achat du livre de Bezos sur la plateforme Amazon. L’affichage constant rappelle à l’internaute les effets de la consommation, puisque naviguer sur Internet représente tout de même une sorte de consommation, à titre de consumérisme autant que d’empreinte écologique. En effet, Moll démontre sa sensibilité envers la notion d’empreinte écologique même avant le lancement de l’œuvre: en dessous du bouton de lancement est écrit: «Each visit emits an estimated amount of 50gr of CO2» («Chaque visite émet un montant estimé de 50 gr de CO2»).
De cette manière, l’œuvre de Moll fournit les bases d’une implication cyborg, une expérience qui ne peut avoir lieu qu’en présence d’un.e internaute et de l’œuvre, en présence d’un être humain et d’une machine qui participent tous deux à des actions physiques et numériques demandant des ressources non renouvelables.