Faith
Faith est un poème cinétique de Robert Kendall. Cette oeuvre est considérée à juste titre comme un des exemples les plus convaincants de la poésie cinétique – forme de prolongement numérique de la poésie concrète, dans laquelle les mots sont animés afin de redoubler dynamiquement ce qu'ils signifient verbalement, là où la poésie concrète redoublait iconiquement ce qu'elle énoncait verbalement.
Le poème aborde de manière très large la question de la foi, en la plaçant d'emblée dans un rapport d'opposition avec la logique. Le mot Faith a droit à un traitement royal, d'abord de par sa lettrine copieusement ornementée et ensuite par sa position d'autorité, au sommet de l'espace où viendra s'ajouter graduellement le texte. Dans le premier tableau du poème, plusieurs exemplaires du mot logic tombent du sommet de l'espace de lecture, et se butent et ricochent sur le Faith imperturbable. Le fait que le mot Faith soit indélogeable de sa position malgré les collisions de plusieurs logic est explicité par la première strophe du poème: «Logic can't bend this».
La suite du poème reprend ce même principe de surdétermination de la signification verbale par le mouvement: le red winking neon qui cligne à la manière d'une enseigne de commerce, le mot theory apparaissant d'abord à l'envers avant de se redresser, les walking out, leave taking, forgoing-going-gone et stride out dont une partie s'éloigne de l'espace du texte, le off the rocker qui tangue et le Leap qui jaillit vers l'avant de l'écran, sont autant de formes dynamiques redoublant ce que la signification langagière des mots désigne. Sans être aussi frappants que les nombreuses animations déployées dans The Dreamlife of Letters de Brian Kim Stefans, ces emplois du mouvement de lettres n'en sont pas moins déterminants pour la compréhension du texte.
Mais la part de mouvement textuel la plus éclairante pour l'interprétation du poème vient de l'accumulation progressive du texte qui, de strophe en strophe, s'allonge et se poursuit, de manière à éventuellement former un poème dont la versification est plus traditionnelle. En ajoutant graduellement du texte à son poème, Kendall montre bien comment une réflexion sur un thème quelconque (ici, la foi), s'approfondit graduellement, passant d'un état initial bref, voire fragmentaire, jusqu'à une affirmation plus abondante et structurée. La formulation d'une pensée à propos de la foi devient de plus en plus complète à mesure que les mots apparaissent et trouvent place dans l'espace d'écriture du poème, reflétant le mouvement d'une pensée qui évolue et se fixe peu à peu.
Toutefois, le poème se conclut par le rappel qu'une réflexion, aussi élaborée et élégamment formulée soit-elle, peut évoluer et être revisitée, voire tailladée ou réfutée. Ceci se mainfeste par la dernière strophe, où l'on assiste à l'écroulement du poème: les mots quittent leurs amarres et s'affaisent au bas de l'écran, sauf quelques fragments qui formeront au final la phrase «just to sum up: Faith», ce dernier mot écrasant et surplombant l'ensemble des mots ayant tenté de rendre compte, probablement en vain, de ce phénomène spirituel.