![Écran total (capture d’écran #1)](/_next/image?url=https%3A%2F%2Fwp.nt2.uqam.ca%2Fwp-content%2Fuploads%2F2013%2F12%2Fnt2-09-ce01_1280x800_ecran_total1.jpg&w=3840&q=75)
Écran total
L’une des caractéristiques les plus frappante d’Écran Total est la manière avec laquelle cette oeuvre dialogue avec les conventions d’écriture du support imprimé. Le plus souvent, Salvatore transpose à l’écran des procédés d’écriture hérités de la tradition livresque. Par exemple, il reprend la stratégie du manuscrit trouvé, largement répandue en littérature, notamment depuis les grands romans épistolaires du 18e. Plutôt que d’affirmer avoir découvert un manuscrit, l’auteur fictionnel d’Écran Total affirme avoir découvert un micro-ordinateur des années quatre-vingt qui contenait les différents fragments textuels dont est constituée l’oeuvre. Remarquons que cette mise en scène de l’oeuvre trouvée permet de justifier le caractère désordonné de l’hypertexte de fiction:
«[…] avec la machine, une flopée de floppies, aux formats déconcertants, tant du point de vue de la taille que du système d’exploitation. L’un d’entre eux a attiré mon attention: les répertoires divaguaient, étaient soumis à un grand désordre, nombreux secteurs endommagés, chaînes obscures. J’ai confié l’ensemble à un ami, un Expert digne de toute confiance, héritier de ces hommes capables dans le passé de restituer à leur pleine lisibilité des palimpsestes. Après quelques semaines, il me montra les fruits de son travail, des disquettes désormais lisibles, même si leur contenu ne pouvait prétendre encore à la limpidité. Il y était question d’un professore Palerno, un humaniste, terroriste à ses heures, à ce que j’ai cru comprendre… Un aventurier.»
Malgré ces procédés paratextuels visant la désorientation du lecteur, on constate à la lecture d’Écran Total que le récit s’y déploie de manière somme toute assez traditionnelle. Il semble que ce qui fait la spécificité de ce texte, ce soit d’abord et avant tout la possibilité qui est offerte au lecteur de débuter le texte à partir d’à peu près n’importe quel fragment. Cependant, chacun de ces fragments contient un nombre limité d’hyperliens, et il est possible de procéder selon une lecture chronologique. En effet, à la fin de chaque fragment se trouve un hyperlien qui mène à celui qui lui succède dans l’ordre du récit. Nous croyons qu’il faut y voir le symptôme de cet entre-deux médiatique qu’a fort justement remarqué Anaïs Guilet dans ses billes de Délinéaire consacrés au livre hybride. Celle-ci parle « […] d’un public aux prises avec une période de transition des paradigmes médiatiques de diffusion du texte, aux prises avec le passage d’une culture du livre à une culture de l’écran.» (Guilet, 2009)
Pour conclure, il semble qu’il faille admettre qu’Écran Total est sans doute un récit moins désorientant que la préface veut bien le faire croire. Nous y constatons un effort de la part de l’auteur pour explorer les possibilités de l’hyperlien, notamment par sa volonté de multiplier les parcours de lecture. Toutefois, cette tentative étant jointe à la possibilité de lire le texte de façon à respecter la chronologie de l’histoire, l’oeuvre demeure des plus lisibles. Elle reste néanmoins un bel exemple de la rencontre d’une pratique d’écriture aux conventions bien établies avec les possibilités offertes par le support informatique. Les jeux formels qu’on y remarque s’étant retrouvés de façon systématique dans les hypertextes de fiction qui lui ont succédé, il semble juste d’affirmer qu’Écran Total est une oeuvre qui aura fait date. Il serait par ailleurs fort intéressant de l’inscrire dans le cadre d’une étude génétique où serait étudiée l’évolution des procédés formels propres à l’hypertexte.
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NT2