
Doki Doki Literature Club
Le jeu Doki Doki Literature Club (2017), de «Team Salvato» (Dan Salvato, New Jersey), en apparence codé et naïf, détourne en fait les conventions du jeu vidéo. L’œuvre se présente comme un roman graphique interactif de style «anime japonais». La majorité des actions posées par la joueuse ou le joueur consiste à choisir des réponses scriptées à l’écran et à interagir avec les trois personnages principaux, à savoir Sayori, Natsuki et Yuri. Le but premier, c’est d’établir le club de lecture à l’école aux côtés de vos amies, toutes plus adorables les unes que les autres. C’est aussi en partie un dating sim, c’est-à-dire un simulateur de rencontre amoureuse. Le jeu vous encourage à écrire un poème à l’une de vos amies et à tisser des liens d’amitié et d’amour à travers des activités parascolaires. Jusque-là, tout va bien…
*Spoiler Alert ! Attention, Divulgacheur !*
Éventuellement, le jeu prend néanmoins une tournure terrifiante voire gore, à la mort d’une de vos amies. Le jeu vous invite à recommencer une nouvelle partie pour éviter cette fin abrupte… mais rien ne va plus. Votre amie décédée, désormais absente de la partie, paraît prendre le contrôle de l’interface: des glitchs surgissent ainsi que des images non-désirées et violentes. Votre amie décédée semble hanter le jeu en s’adressant à vous à la première personne, en se moquant de vos regrets, en effaçant vos fichiers «sauvegardés» en tant que joueur.se. Si vous vous attachez à un autre personnage, elle paraît les saboter et les détruire. Elle modifie leur personnalité, les rend déprimées, suicidaires, et la joueuse ou le joueur perd graduellement le contrôle dans une descente aux enfers. Il est alors impossible de «recommencer», impossible de se sortir de l’horreur qui cause la mort d’autres personnages. Vous êtes prisonnier.ière de votre relation toxique à une intelligence artificielle. L’illusion de contrôle que génère l’interactivité dans un jeu vidéo, et dans la première partie du jeu, est ici totalement brisée. L’œuvre est doublée d’une dimension métafictionnelle puisque le fichier rebelle affecte le menu, la capacité à sauver un document, le jeu en soi… Doki Doki Literature Club porte à réfléchir, par l’entremise de ce renvoi maîtrisé entre le récit et les actions posées par les joueurs.ses (graduellement contraintes et rendues presque inutiles), aux appréhensions des spectateurs, informées par l’esthétique inoffensive du jeu et par des expériences de jeu antérieures. «Doki doki» est d’ailleurs l’onomatopée pour un cœur qui bat en écho à la quête romantique du premier «arc» narratif ou à la peur saisissante du deuxième arc (à explorer avec caution). Le jeu se joue des participants ou des participantes en devenant «intelligent», en sortant du cadre normé du jeu vidéo ou du dating sim. Le jeu a d’ailleurs fait l’objet d’une controverse suite aux suicides réels de deux adolescents britanniques qui avaient préalablement joué à Doki Doki Literature Club.