Do You Want Love or Lust?
Do You Want Love or Lust? est une œuvre de l’artiste français autodidacte Claude Closky, commandée par le Dia Center for the Arts en 1997. Il s’agit d’une œuvre-collage constituée d’une collection de questions portant sur la carrière, la politique, l’amour, l’argent, les relations sociales, l’alimentation, le sexe, etc. tirées de tests publiés dans des magazines réels.
Lorsque l’internaute accède au site Web de l’œuvre, la première question, qui est aussi le titre de l’œuvre, est inscrite en rouge sur fond rose, au milieu de l’écran: «Do you want love or lust?» Les mots «love» et «lust» sont soulignés et clignotent dans le texte, invitant l’internaute à cliquer sur l’un d’eux pour indiquer son choix. Chacun de ces choix-réponses est en fait un hyperlien qui ouvre sur un nouvel écran contenant une nouvelle question, présentée selon le même principe: la question est inscrite simplement sur un fond de couleur uniforme et les deux choix de réponses sont soulignés pour indiquer la présence de nouveaux hyperliens. Parfois, une image accompagne le texte, mais seulement lorsque celle-ci est nécessaire à la compréhension de la question. L’esthétique est donc minimaliste, «pop» et légère: couleurs vives et joyeuses, police de caractère uniforme d’un écran à l’autre pour une lisibilité maximale, absence de décorations superflues. Légèrement kitsch dans sa présentation, le questionnaire qui constitue l’œuvre est d’une extrême convivialité. Toutefois, au fur et à mesure que l’internaute avance dans son expérience de l’œuvre, la disparité des thèmes abordés dans les différentes questions fait apparaître l’absurdité de l’entreprise. Ces questions sont-elles seulement liées par un quelconque fil logique? Si les changements périodiques des couleurs en fond d’écran peuvent laisser croire à une certaine division par catégories, celles-ci deviennent rapidement suspectes, reposant davantage sur le besoin de sens de l’internaute comme lecteur que sur une organisation réelle de l’information qui défile à l’écran. Qui plus est, le questionnaire de Closky est privé de sa conclusion logique: même si l’internaute passe des jours eà répondre aux questions qui se succèdent, jamais il ne peut atteindre une quelconque fin. Les résultats ne sont pas compilés et n’ouvrent sur rien, privant l’internaute de l’instant de révélation promis par les tests auxquels les questions de Do You Want Love or Lust? ont été empruntées. Closky revient ainsi à un de ses thèmes favoris, soit la liste pour la beauté de la liste, l’énumération trouvant en elle-même sa propre finalité. L’hyperlien dans Do You Want Love or Lust? est une parodie de lui-même (Blair, 2003), un simple procédé pour parcourir une liste autrement dépourvue de logique interne.
Bref, le temps que passe l’internaute dans l’œuvre est rythmé par les clics stériles de sa souris et révèle le caractère illusoire de sa liberté comme agent. En présentant ainsi une véritable enquête sur la nature du libre-arbitre (Blair, 2003) sous le couvert d’une entreprise de découverte de soi, Closky s’attaque directement à notre besoin de différenciation. Frustré dans ses attentes, l’internaute n’a qu’un seul choix: fermer son fureteur, quitter l’œuvre, abandonner. Même si l’apparence générale de l’œuvre et les thèmes abordés dans les différentes questions suggèrent une certaine légèreté de l’ensemble («When was the last time you went to a club, yesterday or a century ago?», «Do you see life as blue or pink?», «What's your best profile, right or left?», etc.), le sentiment qui persiste au sortir de l’œuvre est donc amer:
When frustration wells up, the only option is to quit, yet in doing so the temptation to dismiss the whole enterprise as meaningless, as a pointless game, a mere jest, never quite carries conviction. For, by hesitating, deliberating, and pondering one has already invested time, activated desire, and flirted with the possibility of revelation… (Cooke, 1997)
Do You Want Love or Lust? est au final une œuvre duale. Légère et ludique d’une part de par son contenu et la naïveté de l’entreprise de recension qu’elle propose, elle n’en demeure pas moins d’autre part révélatrice de nos névroses et de nos quêtes de sens déçues.
Informations
Groupe de recherche:
NT2