Cyborgs in the Mist/Cyborgs dans la brume
Cyborgs in the Mist/Cyborgs dans la brume (2011-12) est un film réalisé par les artistes et chercheurs Stéphane Degoutin et Gwenola Wagon dans le cadre du projet du même nom comprenant aussi des tirages photographiques grands formats et une installation sonore in situ1Ceux-ci furent présentés autour de la gare de Saint-Denis, au centre d'art Synesthésie du 20 mai au 16 juillet 2011 à Saint-Denis lors de l'exposition LMQTP ainsi qu'au Musée des arts et métiers le 23 juin 2011 lors de Utopia Forum.. Le film consiste en une initiative utopique proposant l’instauration du laboratoire LOPH (Lutte contre l'Obsolescence Programmée de l'Homme) à proximité de la villa Coignet. Fondé par le duo d’artistes, l’objectif général de ce laboratoire est de développer des initiatives permettant notre survie, ainsi confrontée à l’imminente fin de la domination de l’espèce humaine sur terre.
Le film débute avec une cartographie de la ville de Saint-Denis à travers des navigations filmées de Google Maps. On y retrouve la villa Coignet rue Saint-Michel. Datant de 1853, il s'agit du premier bâtiment de France construit en béton aggloméré, faisant office de monument historique en lente dégradation de l’industrialisation moderne. Le béton qui compose le bâtiment peut être perçu comme «poudre universelle» sans limites, pouvant emprunter n’importe quelle forme, structure et idéologie. L’industrie Saria, désormais propriétaire du site où le bâtiment produisait jadis de la colle et de la gélatine, produit un autre «aliment universel», soit de la farine animale servant à nourrir le bétail. Celle-ci consiste en une matière désincarnée qui permet de remplir de manière la plus efficace son utilité. De plus, les réalisateurs notent la présence d’entrepôts automatisés et robotisés, permettant le stockage d’objets voués à la consommation, mais aussi de «Data Centers», agissant ainsi en tant que hangars de données informatiques. En contrepartie, le pasteur de l’Église évangélique Amour et Vérité prédit une fin du monde causée par la quête du progrès, et la possibilité d’une rédemption pour ceux qui croient en Dieu. Poudres de béton et de données, poudres alimentaires et spirituelles cohabitent en ces lieux en tant que différentes formes de dissémination valorisant l’ensemble au profit du particulier.
C’est dans une architecture faite de faux rochers, plusieurs pieds sous le niveau du sol, que les activités du LOPH auront lieu dans ce quartier. Divers projets utopiques sont testés par ses chercheurs, tous basés sur l’inévitable retour à l’animalité engendré par le climat de pauvreté généralisée qui attend le monde dans quelques années. Comment développer des technologies qui pourront survivre, paradoxalement, à la quasi-destruction des infrastructures technologiques? Comment développer des outils technologiques qui permettent de reconnecter l’humain à son environnement, même d’augmenter les capacités du corps humain? Comparativement à l’Université de la Singularité, fondée en 2008 et soutenue financièrement par la NASA, Google, Nokia, Autodesk et Linkedin, qui tente de développer un futur posthumain positif, LOPH délocalise les questionnements généralement réservés à la Silicon Valley et prône, en opposition, le terrorisme envers la technologie et la nécessité de se déconnecter du réseau.
Nicolas Maisonneuve, chercheur pour le laboratoire LOPH, se questionne en ces mots: «Si dans un monde qui évolue de plus en plus vite, notre capacité à s’adapter est limitée dans ce monde comparativement à celui de la machine, dans mon laboratoire, ce que je cherche avant tout c’est de savoir si on peut évoluer de manière beaucoup plus rapide à travers un ensemble de recherches basé sur des problèmes de diversités culturelles et des problèmes aussi de réduction des sens qui, mélangés, pourront amener une meilleure durabilité et stabilité de la vie humaine.» L'humain étant dépassé par l’évolution constante et accélérée du savoir, ce pseudo-chercheur propose, en ce sens, la réduction, et même la disparition, de l’intelligence à haut niveau, au profit d’une réactivité plus rapide et moins complexe du cerveau.
Le narrateur affirme en conclusion que «la société est une poudre qui se configure provisoirement dans la configuration désirée. Puis, que ce soit sous l’effet d’un choc chimique, que ce soit un mouvement de pensée, une nouvelle technologie ou un changement climatique, se recompose instantanément pour composer une autre structure.» Le quartier Saint-Denis est ainsi le lieu de l'émiettement du tissu social au profit de l'optimisation et de l'autonomisation du régime de production capitaliste.
Informations
Le film fait aussi parti de l'exposition en ligne Uchronia | What if? commissariée par le Laboratoire NT2 et est présentée dans l'HyperPavillon (commissariat de Philippe Riss-Schmidt, produit par Fabulous Inc.) durant la 57e édition de la Biennale de Venise.