Compte-rendu du DrupalCon 2013 à Portland

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À nouveau cette année, 3000 spécialistes Drupal se sont réunis dans le cadre de la conférence biannuelle DrupalCon, qui se déroulait cette année à Portland, Oregon (États-Unis), sur la côte Pacifique.

Photo de groupe de la conférence DrupalCon Portland 2013. Retrouvez les deux membres de l’équipe médiatique ayant assisté à l’évènement! (Crédits: Drupal Association. En ligne: http://www.flickr.com/photos/drupalassoc/8774101979/sizes/o/in/photostream/)

Au-delà des discussions techniques très pointues qui ont lieu dans ces conférences, ces évènements servent à prendre un peu de recul face à notre travail au quotidien et à aborder l’avenir de notre profession de façon plus stratégique. Plutôt que de vous raconter ma conférence, je préfère donc partager avec vous quelques enjeux de fond qui nous concernent tous en tant qu’utilisateurs du Web, que l’on soit programmeur ou non.

Où s’en va le Web aujourd’hui? Personne n’a la réponse exacte, mais nous pouvons au moins dégager une tendance lourde, qui consiste à porter une plus grande attention aux utilisateurs véritables des sites Web. Le Web a beaucoup souffert au fil des années de produits difficiles d’utilisation, ce qui explique à nouveau cette année la très grande emphase mise sur l’ergonomie Web (aussi appelée UX ou User Experience), notamment pour les utilisateurs non-techniques. Ceci nous force non seulement à réfléchir à la présentation de nos sites, mais aussi à réfléchir à la façon dont les contenus Web sont générés.

La conférence de Karen McGrane, «Thriving in a World of Change: Future-Friendly Content with Drupal» [1], s’inscrivait dans ce contexte. L’essentiel du message de Karen McGrane est qu’en tant que producteur de contenu, il faut envisager l’avenir du Web non pas en s’adaptant aux changements technologiques saison après saison, mais plutôt en repensant à long terme la façon dont nous rédigeons et publions nos contenus sur Internet.

Le principe est donc de s’extraire de la logique de rédaction sur support papier, ce qui demeure encore difficile à faire aujourd’hui. Par exemple, cette tendance est encore favorisée par l’utilisation des éditeurs Web (ou WYSIWYG) sur nos sites: «The problem with WYSIWYG [2] is that we are allowing content creators to treat the web like it’s print. Where do you think WYSIWYG came from? It came from XEROX. Xerox PARC. Because they invented the laser printer [3]» [4].

Plutôt que de s’arrêter aux enjeux de présentation (gras ou italique? quelle taille pour ce titre?), Karen McGrane nous invite plutôt à envisager un nouvel environnement où le même contenu peut être repris sur Internet, sur téléphone mobile, sur Facebook, sur un blogue à l’étranger, voire même dans des environnements que l’on n’envisage pas encore aujourd’hui (un réfrigérateur Internet? un arrêt d’autobus interactif? un bracelet ou un vêtement intelligents?) [5].

Malgré les efforts pour adapter les contenus au format mobile (téléphones et tablettes), il demeure impossible de suivre la demande imposée par la multiplication des formats d’appareils. En conséquence, il faut changer de stratégie et miser sur des contenus plus flexibles, pouvant s’adapter aux différents environnements, y compris ceux à venir. Comment réaliser ceci? En structurant notre contenu (titre, sous-titre, image en vedette, liens externes, corps de texte, etc.) et en utilisant davantage les métadonnées, ce qui nous permet de progresser vers un Web dit «sémantique» [6]. Bref, au lieu de multiplier les façons de présenter notre contenu, il faut surtout adopter une approche plus stratégique dans la structure même de nos contenus, quitte à envisager ce que sera le Web «post-mobile» [7].

L’ingénieur, le designer et le dictateur

L’autre conférence principale, donnée par Michael Lopp [8], portait sur la gestion des équipes en technologie et de la complémentarité des différents rôles. Dans un contexte où nous utilisons désormais ces technologies au quotidien (iPhone, Gmail, etc.), les différentes influences qui entrent dans la composition de ces produits sont un sujet de réflexion intéressant.

Difficile de discuter du rôle du dictateur en entreprise sans évoquer Steve Jobs, autant connu pour ses produits innovateurs que pour sa personnalité exécrable. Michael Lopp, qui a travaillé plusieurs années chez Apple, ne dénigre pas a priori ce rôle, préférant plutôt en présenter l’utilité de la façon suivante: dans un univers de possibilités infinies, il faut un «dictateur» non seulement pour coordonner le travail des différents intervenants, mais surtout pour prendre des décisions (un bon dictateur est une personne qui sait ce qu’elle veut et, surtout, qui peut dire non).

De son côté, le designer, malgré la façon dont on se le représente habituellement, est plus qu’un graphiste. Il est l’ergonome, le représentant de l’utilisateur, celui qui peut se battre pour certains détails qui font une différence pour celui-ci, quitte à aller à l’encontre des suggestions des ingénieurs. 

Malgré les critiques qu’on peut lui adresser au niveau de la convivialité de ses produits, l’ingénieur demeure essentiel puisqu’il est celui qui réalise le produit. C’est sa faculté à se pencher pendant plusieurs heures sur de petits détails techniques qui assure le succès et le côté innovateur des produits auxquels il contribue.

C’est donc au sens très large qu’il faut envisager ces rôles ainsi que la manière dont ils collaborent ensemble, comblent leurs lacunes respectives et, au final, se retrouvent immanquablement dans chacun de nos projets.

L’avenir de Drupal

Au-delà du discours annuel du fondateur de Drupal, Dries Buytaert [9], toute la conférence était en fait orientée vers la prochaine version de Drupal, Drupal 8, aujourd’hui en plein développement.

Parmi les faits saillants, notons que la prochaine version de Drupal proposera une librairie PHP plus universelle appelée Symfony, ce qui permettra à la communauté Drupal d’échanger certaines fonctionnalités avec des programmeurs extérieurs à l’univers Drupal, un geste qui a le potentiel d’accélérer l’adoption du système de gestion de contenu dans de nouveaux milieux. Dans la foulée, tout l’habillage des sites Web sera revu, suite à l’intégration d’une librairie appelée Twig.

Après des essais dans Drupal 5, 6 et 7, la traduction et les fonctionnalités multilingues seront finalement intégrées au cœur de Drupal 8. Une grande communauté s’active aujourd’hui à décliner tous les cas de figure nécessaires.

De plus, de nombreux modules très populaires seront intégrés au nouveau cœur de Drupal, tel le module Views, qui permet d’interagir avec la base de données pour générer des affichages de contenus avec une flexibilité presque infinie. Bref, la prochaine version de base de Drupal contiendra un grand nombre de fonctionnalités aujourd’hui offertes dans des modules complémentaires, et sera compatible par défaut avec la création de sites dans un environnement mobile.

Finalement, la communauté Drupal démontre une grande capacité à se mobiliser sur une échelle massive pour arriver à ses fins. En effet, plusieurs milliers de programmeurs contribuent simultanément au développement de Drupal grâce à des outils collaboratifs très élaborés. J’ai moi-même pu voir que cette mobilisation peut être très rapide et servir de bonnes causes, comme la création en moins de 24 heures d’un site d’aide aux sinistrés de l’Oklahoma [10], désastre s’étant produit dans les heures précédant le début de la conférence.

Rendez-vous donc en juin 2014 à Austin, Texas, pour la prochaine conférence nord-américaine! En attendant, jetez un coup d’œil aux billets de l’équipe médiatique du NT2 au http://oic.uqam.ca/fr/content/équipe-médiatique-nt2-0.

Sylvain Aubé, pour le compte de l’Équipe médiatique du NT2.

 

[1] La vidéo, les diapositives et le texte de cette conférence sont disponibles depuis le 23 mai 2013 sur le site Web de Karen McGrane:

Karen McGrane (23/05/2013) «Drupalcon Keynote Video, Slides and Talk Notes». Sur le site de l'auteure. En ligne: http://karenmcgrane.com/2013/05/23/drupalcon-keynote-video-and-talk-notes/ (consulté le 25 juin 2013).

[2] À ce sujet, McGrane renvoie à un autre de ses textes:

Karen McGrane (02/05/2013) «WYSIWTF». A List Apart: For People Who Make Websites. En ligne: http://alistapart.com/column/wysiwtf (consulté le 25 juin 2013).

[3] À ce sujet, McGrane renvoie à un texte de Malcolm Gladwell paru dans le New Yorker:

Malcolm Gladwell (16/05/2011) «Creation myth. Xerox PARC, Apple, and the truth about innovation». The New Yorker. En ligne: http://www.newyorker.com/reporting/2011/05/16/110516fa_fact_gladwell (consulté le 25 juin 2013).

[4] Karen McGrane (23/05/2013) «Drupalcon Keynote Video, Slides and Talk Notes». Sur le site de l'auteure. En ligne: http://karenmcgrane.com/2013/05/23/drupalcon-keynote-video-and-talk-notes/ (consulté le 25 juin 2013).

[5] Voir par exemple le cas de la National Public Radio, présenté par Karen McGrane dans une autre conférence:

Karen McGrane (04/09/2012) «Adapting Ourselves to Adaptive Content (video, slides, and transcript, oh my!)». Sur le site de l'auteure. En ligne: http://karenmcgrane.com/2012/09/04/adapting-ourselves-to-adaptive-content-video-slides-and-transcript-oh-my/ (consulté le 25 juin 2013).

[6] Pour une définition:

Wikipédia (sans date) «Web sémantique». Wikipédia. L’encyclopédie libre. En ligne: http://fr.wikipedia.org/wiki/Web_sémantique (version modifiée le 22 juin 2013 à 20:23, consultée le 25 juin 2013).

[7] Voir l’excellente présentation de Jeff Eaton, qui reprend lui aussi l’exemple de la National Public Radio:

Jeff Eaton (21/05/2013) «Building for a post-mobile world». DrupalCon Portland 2013. En ligne: https://portland2013.drupal.org/session/building-post-mobile-world (consulté le 25 juin 2013).

[8] Michael Lopp (23/05/2013) «The engineer, the designer, and the dictator». DurpalCon Portland 2013. En ligne: https://portland2013.drupal.org/keynote/michael-lopp (consulté le 25 juin 2013).

[9] Dries Buytaert (05/06/2013) «State of Drupal presentation (May 2013)». Sur le site de l'auteur. En ligne: http://buytaert.net/state-of-drupal-presentation-may-2013 (consulté le 25 juin 2013).

Voir aussi ce compte-rendu en français de Julien Dubois:

Julien Dubois (22/05/2013) «DrupalCon Portland 2013 – L’état de Drupal – Dries Buytaert». Julien Dubois.fr. Pérégrinations en terres drupaliennes. En ligne: http://juliendubois.fr/drupalcon-portland-2013-etat-drupal-dries-buytaert/ (consulté le 25 juin 2013).

[10] Participants du DrupalCon 2013 (2013) Help for Oklahoma. En ligne: http://www.help4ok.org/ (consulté le 25 juin 2013).