Graffiti Research Lab, les photons de troubles

(Source: Marie Lechner dans Écrans)

Le laser tag en action - CC - urban_data

Depuis le 7 mars (et jusqu’au 1er avril), le Graffiti Research Lab (GRL), a déclaré New-York « Ville ouverte ». Les murs et les rues de la ville ont été pris d’assaut par des grapheurs, pochoiristes, taggeurs, mais également par des activistes et des performeurs urbains qui se réapproprient l’espace public de manière ludique ou critique. Une exposition au laboratoire nouveaux médias Eyebeam, dans le quartier de Chelsea, documente les actions d’une dizaine d’entre eux, et propose des ateliers dévoilant les outils et tactiques mises en place par les artistes, hackers, performeurs pour « reprendre possession de leur ville par tous les moyens ». Pour ceux qui ne peuvent se rendre dans la Grosse Pomme, le site regorge de vidéos qui retracent les actions souvent spectaculaires de ces artistes du bitume.

L’événement Open City est piloté par les hacktivistes du GRL, pionniers de l’electro-graf, un graffiti lumineux qui incorpore des circuits électroniques et des diodes électroluminescentes (LED). Ils imaginent une extension du street-art par le biais des nouvelles technologies, une sorte de graffiti 2.0 pour faire concurrence aux enseignes commerciales. Au festival Ars Electronica à Linz en Autriche, ils avaient distribué aux passants des « Throwies », petit nom donné à ces diodes fixées à des piles et des aimants. Au passage du tramway, la foule a jeté par poignée les petites lumières qui se sont collées aux wagons métalliques, transformant le tram en guirlande multicolore. Récemment, ils ont testé un nouveau dispositif à Rotterdam, le Laser Tag, qui permet de tracer des tags lumineux à distance sur des façades d’immeubles entières. Laptop et projecteurs ont remplacé les bonnes vieilles bombes aérosols, permettant de tagger les monuments sans les abîmer. Leur démarche est « open source », le GRL met à disposition le manuel et le code de toutes leurs inventions, invitant chacun à fabriquer et améliorer leurs outils.

Dans la galaxie techno graffiti, on retrouve également l’Institute for applied Autonomy, expert en « robotique contestataire » qui a construit dès 1998 le GraffitiWriter, un petit véhicule télécommandé équipé de bombes aérosols qui permet de bomber la chaussée de slogans lors de manifestations sans se faire prendre. Le StreetWriter est un prolongement industriel du précédent.

Open City accueille également des performances telles celle d’Aram Bartholl, inspiré par World of Warcraft, qui joue avec l’identité virtuelle et réelle. Dans les jeux multijoueurs en ligne, le pseudo des avatars s’affichent au-dessus de leur tête et les suit partout dans leurs déplacements. Ici, l’artiste allemand applique le dispositif aux piétons qui se baladent dans la ville, avec leur (vrai) nom qui flotte au dessus d’eux grâce à un système très low-tech de lettres accrochées à une perche (ici l’un des membres du GRL Evan Roth).

Improv Everywhere, collectif d’improvisation situ mettent en scène des actions décalées dans la ville, sur le modèle des flashmobs. Leur dernier coup d’éclat, la « No pants », 300 participants qui montent dans une ligne de métro en slip. L’an passé, les sans-culottes se sont fait serrés par les flics, mais comme se promener en sous-vêtements n’a rien d’illégal, les agents en a envoyé certains au poste pour « comportement désordonné ». Pour Open City, Improv Everywhere a semé la confusion dans le magasin d’électronique Best Buy, envahi par 80 agents revêtus d’un T-shirt bleu et d’un pantalon beige, la tenue officielle des employés du magasin, totalement déconcertés par cette invasion.

Autre expert du parasitage urbain, le street artiste Mark Jenkins qui a transformé un rond-point de circulation en manège, empalant des chevaux translucides fait de bandes de scotch sur les réverbères de la place. Plus troublant encore, ses sculptures hyperréalistes qu’il met en situation dans la ville, comme cet homme grandeur nature qui a la tête enfoncée dans le mur, ces jambes qui dépassent d’une poubelle, ou ce gars à capuche en tailleur sur la chaussée, dont il s’avère que la tête est un trou béant. Jenkins scrute les réactions des passants qu’il filme et met en ligne.

Rayon peinture, KR propose une démonstration de graffiti dégoulinant à l’extincteur sur les murs d’Eyebeam et verse de la peinture orange dans la gouttière qui vomit une grande flaque gluante sur le trottoir. La peinture orange est également celle choisie par le collectif de Detroit, Object Orange, pour badigeonner entièrement les batiments abandonnés dans la ville, façades, toitures, fenêtres. En référence non à l’agent orange, herbicide meurtrier déversé par l’aviation américaine au Vietnam, mais à une nuance d’orange (Tiggerific) de la palette de couleurs utilisée par les dessins animés Disney. Une couleur flashy destinée à attirer l’attention des gens sur la décrépitude de la ville, sur ces maisons qu’on laisse tomber en ruine au lieu de les réhabiliter.